2.
Le père Devon MacKenzie faisait tristement observer à ses visiteurs que son église bien-aimée, St. François de Sales, était située si près de la cathédrale épiscopale de St. John the Divine qu’elle passait presque inaperçue.
Une douzaine d’années auparavant, le père Devon avait craint que St. François soit bientôt fermée, et il n’aurait pu honnêtement contester cette décision. Après tout, l’église datait du dix-neuvième siècle et avait besoin d’importantes réparations. Mais tandis que de plus en plus de buildings modernes se construisaient dans le quartier et que les vieux immeubles sans ascenseur étaient rénovés, il avait eu la joie de voir apparaître de nouveaux visages à la messe du dimanche.
La paroisse avait repris vie, lui permettant d’effectuer certains travaux au cours des cinq années précédentes. Les vitraux avaient été nettoyés ainsi que les fresques noircies par la saleté accumulée, les bancs de bois avaient été poncés et vernis, les prie-Dieu retapissés de neuf.
Puis, lorsque le pape Benoît XVI avait déclaré que chaque curé pourrait décider de célébrer la messe en latin, le père Devon avait annoncé que dorénavant la messe dominicale de onze heures serait dite dans cette langue traditionnelle de l’Église que lui-même parlait couramment.
La réaction de ses paroissiens l’étonna. L’église était désormais pleine à craquer à cette heure-là, non seulement de personnes âgées mais d’adolescents et de jeunes adultes qui répondaient avec ardeur Deo grattas au lieu de « Rendons grâce à Dieu », et récitaient le Pater Noster à la place du Notre-Père.
Devon avait soixante-huit ans, deux ans de moins que le frère qu’il avait perdu dans la tragédie du 11 Septembre, et il était à la fois l’oncle et le parrain de Mack. À la messe, lorsqu’il invitait les fidèles à adresser en silence leurs requêtes à Dieu, lui-même priait toujours pour son neveu, en espérant son retour.
Le jour de la fête des Mères, sa prière était particulièrement fervente. Aujourd’hui, en arrivant au presbytère, il avait trouvé un message de Carolyn sur le répondeur. « Oncle Dev – il a appelé à trois heures moins cinq ce matin. Il avait l’air en forme. Il a très vite raccroché. À ce soir. »
Il avait perçu aussitôt une note de tension dans la voix de sa nièce. Son soulagement en apprenant que son neveu avait appelé se mêlait à une vive irritation. Bon sang, Mack, as-tu idée des tourments que tu nous infliges ? Tout en tirant sur son col romain, il prit le téléphone pour rappeler Carolyn. Mais avant même qu’il puisse composer son numéro, la sonnette de sa porte retentit.
C’était son ami d’enfance, Frank Lennon, un informaticien à la retraite, qui officiait comme bedeau le dimanche et était chargé de compter et déposer à la banque le produit de la quête.
Devon avait depuis longtemps appris à lire sur les visages et à deviner immédiatement si un problème se posait. C’était ce qu’il décelait sur les traits fatigués de Lennon. « Que se passe-t-il, Frank ? demanda-t-il.
– Mack était à la messe de onze heures, Dev, dit Lennon sans ambages. Il a laissé un mot à ton intention dans la corbeille. Plié dans un billet de vingt dollars. »
Devon MacKenzie s’empara du bout de papier, lut les dix mots qui y étaient écrits, puis, incrédule, les relut à nouveau : « ONCLE DEVON, DITES A CAROLYN DE NE PAS CHERCHER À ME RETROUVER. »